ALLER, ALLER ENCORE
Publié le 6 Août 2012
Hier, Annie m’a proposé de lire ce très beau texte « ALLER, ALLER ENCORE d’Yves Bonnefoy, l’heure présente. », je vous propose de le partager et j’y ajoute une chanson de Camille : Allez, allez… qui fait miroir.
ALLER, ALLER ENCORE
Yves Bonnefoy, l’heure présente. Mercure de France 2011
1
Et maintenant nous sommes en mer, mes amis, dans une barque que les vagues soulèvent puis laissent retomber, mais qui s'obstine, parfois presque debout, courageuse!
Et à gauche et à droite et aussi devant, là où la mer devrait être libre, nous avons à éviter des navires, hauts bords par- fois si proches les uns des autres que c'est miracle si nous ne sommes pas fracassés, et avançons!
Presque une salle fermée cette eau quj zigzague à grand fracas entre leurs flancs sans lumjères! Et nous sommes inquiets, l'un d'entre nous à la barre, d'autres courbés sur les rames, mais aussi nous apercevons ces figures de proue des vaisseaux quj nous surplombent. Déesses aux longues épaules souples, au torse nu, bras et mains dont le bleu profond, l'ocre, le rouge pourpre, s'écaillent. Mères souriantes, bien que les yeux clos, bien que tristes.
Encore un effort, mes amis! Un de nous se lève de son banc, les mains en porte-voix il va diriger la manœuvre. Nous serons libres, bientôt!
II
Car oui, mes amis, c'est dans ces fourrés qu'il faut se porter, c'est par ici! Enfonçons-nous jusqu'au cou dans ces branches, parmi ces ronces, ce n'est pas si épais que cela vous semble, ni si profond, nous n'avons que quelques dizaines de mètres à frayer avec nos têtes penchées, nos bras repliés sur nos yeux, nos joues griffées mais pas trop, et voyez: déjà la lumière au ras du sol, sous nos pieds.
Sous nos pieds? Oui, phosphorescents, des galets sous nos pieds presque nus, des pierres longues et rondes, et lisses, et de diverses couleurs par-dessous les emmêlements de cette végétation en désordre. Et qui se font d'instant en instant plus nombreux, qui maintenant se chevauchent, glissant les uns sur les autres et nous-mêmes glissant sur eux, tombant: mais aussitôt nous relevant, n'est-ce pas, et avan- çant, avançant! Ah, ces galets, dans la nuit qui vient, ce sont maintenant de vrais amoncellements, ils forment des pyramides, des rayons sans nombre ni ombres s'en échappent.
III
Et des mots, tout cela, des mots car, en vérité, mes proches, qu'avant nous d'autre? Des mots qui se recourbent sous notre plume, comme des insectes qu'on tue en masse, des mots avec de grandes échardes, qui nous écorchent, des mots qui prennent feu, brusquement, et il faut écraser ce feu avec nos mains nues, ce n'est pas facile.
Des mots dont les enchevêtrements dissimulent des trous, où nous perdons pied, et glissons, poussant des cris, mais peu importe, notre vie, c'est si peu de la pensée, ne croyez- vous pas! Vite, nous nous ressaisissons, nous nous remet- tons à parler.
Et je vous disais bien, mes quelques compagnons, je vous disais bien, n'est-ce pas, que le jour se lève? Allons, avançons encore, ramassons tous nos vœux, tous nos souvenirs, vous ces cris, ces appels, ces hurlements, ces sanglots, et moi avec vous ces rires, ces grands rires si loin de toutes parts sous ce ciel si bas que nous le touchons de nos mains tendues! Il est évident que le jour se lève, mes amis, évident qu'il déferle sur nous, recolore tout, emporte et disperse tout.
Allez, allez . Camille
Allez allez allez
à chaque coup de rame
prends la force dans la taille
et dans les talons
allez allez allons
à chaque coup de crosse
prends l’écorce du colosse
et du canasson
allez allez allez
à chaque coup de sabre
prends la fougue des canailles
et des moussaillons
allez allez allons
à chaque coup de cloche
prends la force le cri des mioches
et des carillons
allez allez allez
à chaque coup de balle
prends les confettis du stade
et celles des champions
allez allez allons
à chaque coup de pioche
prends la force c’est fastoche
de ma chanson